Je vais vous raconter une histoire étrange que j’ai vécue récemment.
Ce jour-là je suis dans mon atelier. Je travaille sur une toile, mais je ne suis pas satisfait du résultat et cela se produit de plus en plus souvent ces derniers temps.
Alors comme d’habitude je prends ma paire de ciseaux (c’est le procédé que j’ai désormais adopté) et je taille.
Je mets littéralement mon tableau en pièces, ensuite je me sers des morceaux pour réaliser une nouvelle composition, une nouvelle réalité. Je les dispose au gré de mon inspiration jusqu’à ce que lentement, progressivement, une vision claire et évidente apparaisse.
Sans quitter le tableau des yeux, je prends du recul pour voir s’il me convient. Je butte sur le sofa et je me trouve involontairement affalé, scrutant toujours intensément le tableau à la recherche d’une dissonance.

« Ça a l’air bien, je vais pouvoir recoller les morceaux à présent ! »
Épuisé, je décide finalement d’abréger la séance, car maroufler toutes les pièces sur une nouvelle toile me prendra du temps.
Je me lève pour retourner le tableau contre le mur afin de le reprendre plus tard avec un regard neuf.
Je jette un dernier coup d’œil, quand soudain…

« Ma parole, j’ai des hallucinations ? »
Voilà que les morceaux de peinture se détachent tout seuls du support et flottent dans l’air, telles des créatures volantes, des êtres vivants aux couleurs éclatantes.
Ils avancent lentement vers moi en escadrille. Ils n’ont pas d’yeux, mais j’ai l’impression qu’ils me fixent. Ils se tiennent maintenant juste devant moi et je leur barre le passage vers la sortie.
J’ai le réflexe de reculer et aussitôt quelques-uns tentent de se faufiler vers la porte entre baillée qui donne sur le hall d’entrée.
Je ne peux pas les laisser s’en aller, ils pourraient être dangereux, bien-que jusqu’à présent ils ne m’aient fait aucun mal.
Ils ont de courtes accélérations fulgurantes puis ils s’arrêtent net. J’ai juste le temps de claquer la porte avant qu’ils ne puissent s’échapper.
Je les ai créés, j’en suis responsable et je ne veux pas qu’ils se perdent dans la nature ou qu’un autre se les approprie. Ils sont méfiants et imprévisibles, mais je suis sûr qu’ils finiront par m’adopter, c’est une question de temps.
Je me saisis d’un pinceau à long manche et comme un dresseur de fauves, j’essaie de les ramener autant que possible vers la toile d’où ils sont sortis, mais ils ne se laissent pas faire et me tiennent tête en émettant des vibrations étranges et saisissantes.
Après plusieurs tentatives, je parviens tout juste à les faire entrer dans la pièce où je range mon matériel et à refermer la porte derrière eux.
Temporairement soulagé, je me demande ce que je dois faire. Garder ces « créatures » pour moi, égoïstement, au secret dans mon atelier, ou révéler leur existence ? Je suis encore en train de réfléchir à ces évènements incroyables et à leurs conséquences, lorsque je me rends compte que je m’étais endormi sur le sofa et que c’était un rêve.

Vernissage le 19 avril à 19h